UNE Interview Yvan Etienne / ETANT DONNÉS Yvan Etienne: Etant Donnés, de par votre nom et I'orthographe de celui-ci vous faites référence à l' oeuvre de Marcel Duchamp: quel est pour vous le lien qui existe entre le contenu de cette oeuvre et votre travail ? ETANT DONNÉS:
Nous avons choisi le nom d'Etant donnés en référence
évidente à la pièce de Marcel Duchamp, pensant
pouvoir établir une sorte de continuation lyrique et dramatique
aux potentialités plastiques de cette oeuvre. Au delà de cette interprétation, y-a-t'il pour vous un autre sens dans I'expression Etant Donnés ? Le second sens serait celui de l'être et du don, ETANT DONNÉS; je suis, je donne, je ne peux donner que ce que je suis, considérant le "je suis" comme le Tout, considérant l'univers comme inclus dans l'être de l'homme. Le troisieme sens est celui d'un nom qui ne signifie rien par lui-même si ce n'est une introduction à ce qui suit, un nom qui nous libère de la prédestination du nom, et nous laisse libre de le remplir par nos oeuvres et notre travail, libre de donner sens à ce nom. Qu'implique cette séparation d'avec le public ? Nous ne sommes pas intéressés par la
communication. Ce qui nous intéresse c'est l'inspiration et non
l'expiration. Pour pouvoir inspirer il faut tout d'abord pouvoir expirer,
donc c'est expirer un certain état du corps pour créer
un vide, ce vide crée une tension d'aspiration qui permet a un
"je ne sois quoi"
de combler ce vide, ce "je ne
sois quoi" prend alors la forme de l'enveloppe
qui contenait ce vide et ce vide maintenant plein de ce "je
ne sois quoi" devient donc finalement un plein,
mais un plein différent du plein préalable. C' est lá
que se crée la polarisation poétique entre
nous et le public. Qu'entendez vous par un certain état du corps ? Cet état du corps est une mise en condition
qui ne s'effectue pas avant le spectacle mais pendant celui-ci, c'est
à dire que les premiers mots clamés sont une sorte de
clef magique, puisque l' on considère le mot comme une concrétion
sonore de l'être du monde réel, un agrégat sonore
de sens. Le mot révélerait en quelque sorte le sens caché
et ultime du monde, le sens latent, qui ne peut être dévoilé
que par le mot. Les premiers mots du poème sont cette clef magique
qui crée cette évacuation de l'état plein du corps,
de corps pensant et rationnel, de corps ancien puisque déterminé
par la mémoire, c’est à ce moment qu'il y a aspiration
de ce “je ne sais quoi".
Ce “je ne sais quoi"
c'est quelque chose qu'on ne peut nommer parce qu' on ne veut pas en
connaître le nom. Contrairement à certaines expériences théâtrales contemporaines vous tenez donc à conserver, comme dans le théâtre classique, ce gouffre, comme étant I'endroit où vous vous perdez et où se perd le spectateur ? Ce gouffre marque une distance. Dans une église, entre la nef et le choeur il y a toujours un seuil. Ce seuil marque une différence d'état, d'un coté le monde, de l'autre le sacré. Il y a l'espace de la poésie, qui est sacré et l'espace du public. Nous ne voulons pas nous mettre à la portée du public, ce que nous voulons c'est nous élever, et c'est au public de nous rejoindre dans ce vol. Qu'est-ce qui détermine la sacralité de la poésie ? Il faut tout d' abord distinguer la poésie du
poème. La poésie est ce que le lecteur expérimente
a la lecture du poème, son déploiement, son moment physique. Votre travail tendrait done vers une communion ? Une catharsis, une communication magique s'instaure
avec le public et il y a communion, intégration dans I'Un, à
travers l' artiste qui est sur scène, vers l'unique
existant, entre l' artiste et le public. L' artiste
est le passeur, l'intercesseur, un Hermés aux pieds ailés,
et cette distance qui n'est peut-être pas délimitée
physiquement, mais en tout cas, dans notre théâtre, marquée
par la violence extrême des lumières, du son et de l'action,
ce qui peut créer au premier abord une répulsion ou un
mouvement de fuite, permet en fait de marquer un territoire, nous occupons
ce territoire. Nous avons conqui une forteresse poétique et en
même temps nous dévoilons à travers les lucarnes
du donjon, un coeur, un corps de beauté, que les gens de l' extérieur
désirent posséder. Clamer des poèmes qui ne disent
que la beauté mais sous une forme terriblement violente, comme
si pour dire "je t'aime"
je lançais une pierre au visage. C'est alors au spectateur de
franchir le mur pour apercevoir cette beauté. Si le public ne
commet pas cet acte de transgression, s'il ne réagit pas, il
fuit, et la forteresse lui échappe, parce que rien n'est donné. Qu'est ce que nous dévoilerait cet acte de transgression ? Cet acte permet d' évacuer le "je suis" pour le “je ne sois quoi" qui prend la forme du “je suis" qui a été évacué. Plus tu vas vers l' être et plus il se voile. L' être ne marque sa présence que par éclats. C' est comme la vie, elle est une étincelle dans la durée de l'univers et surtout je ne veux pas savoir ce qu'il y a derrière. Il n'y pas la volonté de maîtriser ce mystère? On ne cherche pas à cerner le mystère,
c' est le mystere qui nous possède, c' est lui qui nous fait
agir. Vous seriez les récepteurs/émetteurs
de ce Oui, médium, c'est à dire au milieu. Nous établissons le lien. Ce lien serait donc présent dans toutes les choses qui nous entourent? Oui, nous pensons que les choses ne sont pas isolées
les unes des autres, et que le monde n'est qu'un réseau d'interférences,
de vibrations de matières plus ou moins subtiles, allant de la
pierre jusqu'à l'air et l'ether. Une sorte d'écologie
globale, en quelques sorte, où les inductions d'ondes de formes,
les forces gravitationnelles mais aussi les voix, les paroles et les
sons sont tous reliés et signifiants. Ce serait un tout qui prendrait des formes différentes a chaque fois. Oui car la forme est indépendante de la matière et ce ne sont pas les molécules qui constituent la forme. Qu'est ce qui constituerait la forme? L'âme. Elle est la forme. Saint Thomas d'Aquin
a dit: "l´âme est
la forme du corps". C' est à dire,
je vois ta forme, je vois ton âme. L'essence la plus intime, c'
est à dire la chose qui t' appartient en propre et qui à
la fois ne t'appartient pas, car celle-ci n' est en effet, spirituellement
parlant que le reflet polarisé de la lumière blanche divine
dans un prisme, le corps; la forme donc, surface intermédiaire
entre la lumière polarisée intérieure et la lumiere
extérieure, cette enveloppe c'est ton essence. L'essence, le
sang. Le fond c'est la forme et les choses ne peuvent être fixées.
A partir de ce moment là le concept devient un devenir, un devenir
dialectique qui retourne au mystère. |